« Notre deuxième maison »

Pendant 166 ans, un espace collectif destiné à la jeunesse principalement, a pris vie au 17-21 de la rue Goossens. Les habitants de Pogge l’appellent familièrement « la bibliothèque », fonction principale du lieu au moment de sa fermeture, le 6 avril 2011.

Cette fermeture a représenté un séisme pour ceux d’ici et depuis, rien n’a été fait pour rendre compte de cette place unique dans l’histoire de ce quartier populaire de Bruxelles. C’est l’objet de cette modeste exposition : que l’histoire ne s’éteigne pas avec ceux qui l’ont vécue, qu’elle ne soit pas que des mots dans une conversation.

Le souvenir de moments heureux de partage et d’apprentissage chez beaucoup transcende la simple description de cette frégate de briques et de béton : découpé en 5 bâtiments, leurs plus de 1000 m² s’enroulaient autour d’une grande cour tapie de plantes, d’arbres pour atterrir avec douceur au pied du vénérable théâtre Vermeulen.

Ce théâtre a été érigé en 1894, dans le style « néo-renaissance » flamande que l’on retrouve par exemple, aux Halles Saint-Géry, situé au centre de Bruxelles. Le vieux navire a connu deux guerres mondiales : en 1914, l’armée allemande en a fait une écurie pour ses chevaux, et en 1940, l’on a caché des enfants juifs sous la scène… On y a organisé des fêtes pendant longtemps, avant que les pompiers n’enlèvent cette possibilité. C’était alors, des stages, des grands circuits de petites voitures et finalement, un grand lieu du ping-pong qui a vu défiler tous ces gamins qui se prenaient pour Jean-Michel Saive.

L’on a compté depuis les années 30’s, sous l’impulsion d’André Vermeulen, jusqu’à 9 groupes de mouvements de jeunesse (le Patro avec 120 jeunes, six groupes scouts, le Chiro, les Rodekaapjes), une section de « Vie Féminine » et de la « Jeunesse Ouvrière Chrétienne » (JOC), deux groupes de majorettes, un orchestre («  le Big Bazar »), un atelier de céramique, trois cafés (« le Big brol », « l’Atre », « Notre cercle »), un atelier bois, plusieurs clubs de ping-pong, une maison des jeunes, une bibliothèque avec plusieurs sections, un atelier photo, une salle informatique, une école de devoirs, une salle de kickers, un théâtre, une salle des fêtes. « C’était un brol qui marchait bien ! » conclut Suzanne. « Ici, il y avait tout Bruxelles ! » ajoute Ismaël.

En 1957, l’abbé Deneyer a repris le flambeau pour tenir le lieu à bout de bras jusqu’en 2011. Gui, comme souvent on l’appelait, connaissait la plupart des enfants du quartier et ceux-ci le lui rendaient bien. Il habitait lui-même dans la rue de la bibliothèque, quelques bâtiments plus loin.

Gui représentait un phare pour les familles du coin, notamment celles qui avaient quitté le soleil de leur pays pour rejoindre la Belgique. Il écoutait les mots et les silences, avait les gestes et la main large de la vie.

Courageux et décidé face aux difficultés, il a ainsi tressé à cette bibliothèque une couronne de noblesse encore palpable aujourd’hui. Ici, un homme a fait grandir tout un quartier, avant de s’éteindre, en 2020.

La fermeture de la bibliothèque a représenté un traumatisme, le sentiment pour ceux et celles d’ici de perdre une fois de plus des racines. Cette exposition, aux fenêtres de la rue Goossens, leur fait signe, modestement.

La majorité des images d’archives de « Notre deuxième maison » nous ont été prêtées par Gui Deneyer. Ce n’est qu’une part réduite de ces archives, des caisses sauvées précipitamment lors de la fermeture du lieu et qui sont demeurées sans rangement précis.

13 entretiens ont été réalisés pour cette exposition, dont les noms sont repris dans les remerciements, ci-dessous. Les paroles reprises aux fenêtres sont des extraits. Chaque entretien a été enregistré avec un magnétophone.

Ce guide sonore a accompagné l’exposition et peut être écouté ici. Ces récits reprennent certains témoignages reçus d’anciens, tout en donnant quelques clés à propos du quartier Pogge, de l’enjeu des livres pour ces jeunes, de la société et explique aussi le point de départ de l’exposition : les mots de Ismaël.

Tous ces extraits sonores proviennent des « Autres de l’habitat », récit sonore entre deux habitants qui résident à l’endroit de cette ancienne bibliothèque et qui se demandent qu’en faire…

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Tout a commencé quand un homme est entré dans l’habitat…
Lieu d’écoute recommandé : dans la cour de l’habitat Casa Nova, au numéro 17 de la rue Goossens

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Dans notre quartier, il existe trois places. La place Colignon, la place de Houffalize. Et la place Pogge, bien plus réduite que ses cousines.
Lieu d’écoute recommandé : place Pogge

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Tout le monde dit « La bibliothèque » et chacun la raconte à sa façon…
Lieu d’écoute recommandé : dans l’entrée de l’habitat Casa Nova, au numéro 17 de la rue Goossens

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Quand j’étais adolescente, ma mère m’interdisait de lire des livres. On lisait en cachette, le soir…
Lieu d’écoute recommandé : à la vitrine du local de quartier, au numéro 5 de la rue Goossens

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Ainsi résonnent les mots d’Ismaël, son attachement à la bibliothèque…
Lieu d’écoute recommandé : dans la salle polyvalente de l’habitat Casa Nova, au numéro 17 de la rue Goossens.

Merci à eux, à Ismaël (ancien président de la maison des jeunes), Suzanne et Willy (anciens de « Vie féminine » et de la « JOC », actifs dès les années 40’s), Suzann (membre de 1992 à 2004, à l’âge de 18 ans), Kaltouma et Zara Issaka (membres entre la fin des années 80 et la fin des années 90), Stéphane (premier animateur de la maison des jeunes de 1976 à 1991), Gui (animateur de l’espace de 1957 à 2011, à l’âge de 79 ans), Nicole (membre en 2011, à l’âge de 12 ans), Nora (membre de 1995 à 2001, à l’âge de 12 ans), Mehmet (membre jusqu’à 2011, à l’âge de 12 ans), Amel (membre de 1976 à 1983, à l’âge de 15 ans et ensuite revenue comme maman), Ercan (ancien membre), Gallia (maman, a fréquenté la bibliothèque de 1995 à 2003 avec ses filles), Gulcen (membre de 1978 à 1985, à l’âge de 16 ans), Stéphane (actuel responsable du service culture de la commune), Philippe (festival « Alles is Just ») et Saskia (photographe).

Merci à eux, aux habitants de la rue Goossens qui nous ont prêté avec enthousiasme un bout de leurs fenêtres pour que vivent encore ces paroles et ces images devant nous.